par Charlotte HUBLER
Article paru originellement dans Reptilmag
Dans ma vie de terrariophile, j’ai très vite entendu parler du Docteur Lionel Schilliger. Lorsque j’ai eu la chance de le rencontrer, j’ai découvert un homme (charmant !) humble, qui sait adapter son discours à la personne en face de lui. Il est l’un des plus grands spécialistes de la médecine des reptiles et amphibiens d’une part, mais surtout un passionné de toujours qui a fait de sa passion son métier. Le Dr Schilliger prend soin des animaux, d’une main experte. Toujours à la pointe de sa discipline, il reste depuis toutes ces années une référence en la matière.
NDL : Je tiens à préciser que Lionel est une des personnes les plus humbles que je connaisse, je l’admire respectueusement depuis longtemps et je souhaite lui rendre hommage dans ces quelques pages, bien que je sache qu’il ne recherche jamais les compliments et encore moins l’admiration. Courage Lionel, quand tu liras cette lettre d’une fan, je sais ce que tu diras : « Je ne mérite pas tout ça, je fais juste mon travail du mieux que je peux ».
Charlotte Hubler : Bonjour Lionel, merci beaucoup de m’accorder un peu de temps pour cette interview.
Lionel Schilliger : Avec plaisir, j’aime beaucoup Reptilmag et c’est gentil d’avoir pensé à moi pour cette rubrique.
C.H : Beaucoup de personnes te connaissent, mais peux-tu te présenter ainsi que ta carrière pour les lecteurs ?
L.S : Oui, bien sûr. Je suis Docteur vétérinaire-praticien diplômé en 1989 de l’École Nationale Vétérinaire, Agroalimentaire et de l’Alimentation de Nantes-Atlantique (Oniris). Je suis également diplômé de l’European College of Zoological Medicine en herpétologie depuis 2010, ainsi que de l’American Board of Veterinary Practitioners pour les reptiles et amphibiens depuis 2013. Depuis 2010, je suis, de plus, titulaire d’une certification professionnelle CEAV – Certificat d’Études Approfondies Vétérinaires en médecine interne des animaux de compagnie et d’un diplôme en hématologie et biochimie clinique animales depuis 1998 (CES), ainsi qu’en nutrition canine et féline depuis 1996 (CES). Depuis 2007, j’exerce en libéral au sein de la clinique que j’ai ouvert à Paris, (NDL : Clinique vétérinaire du village d’Auteuil, 35 rue Leconte de Lisle, 75016 Paris) (NDLR : la clinique a depuis rejoint le groupe Argos. Lionel y exerce toujours, ainsi que dans la nouvelle structure Argos SpéNAC dédiées aux NAC et animaux non domestiques, 100 boulevard de la Tour-Maubourg , 75007 , Paris).
En Europe, seuls 21 docteurs en médecine vétérinaire possèdent le diplôme de l’European College of Zoological medicine en herpétologie : EBVS® European Veterinary Specialist in Herpetological Medicine and Surgery. En France, on compte seulement 3 vétérinaires spécialistes reconnus par ce diplôme européen : DVM, DABVP (Reptile & Amphibian Practice) Lionel Schilliger, DVM* Clément Paillusseau et DVM*, PhD* Frédéric Gandar. (*DVM : Docteur en Médecine Vétérinaire / PhD : Philosophiæ Doctor) (NDLR : Le Dr. Clément Paillusseau est, en plus du Dr. Lionel Schilliger, le vétérinaire expert de Repti Conseils & Formations, qui intervient sur bon nombre de nos sessions de formations). Le Dr Schilliger a été membre du comité exécutif de European College of Zoological Medicine et président de la spécialité herpétologique.
DABVP (Reptile & Amphibian Practice) signifie : « Diplomates American Board of Veterinary Practitioners », littéralement Diplômé du Conseil Américain des Praticiens Vétérinaires. Treize docteurs en médecine vétérinaire sont actuellement DABVP (Reptile & Amphibian Practice) dans le monde, 1 seul est en France : le Dr L. Schilliger.
C.H : Pendant tes études as-tu rencontré beaucoup de personnes qui appréciaient les reptiles et amphibiens ? As-tu pu faire ta thèse sur ces animaux ?
L.S : Ma thèse de doctorat portait sur les affections parasitaires chez les reptiles, d’ailleurs j’avais toujours quelques matières fécales sous la main pour mes recherches (rires) ! Tout le monde me prenait pour un fou, à l’époque, un reptile malade était un reptile mort. Les mœurs ont évolué, mais dans les années 1985-90 les chats étaient vus en consultation depuis moins de 10 ans, alors des reptiles, ce n’était pas la peine d’y penser ! C’était plutôt la médecine vétérinaire rurale qui avait la cote.
C.H : Tu as depuis toujours continué de voir en consultation des chiens et des chats, tu as d’ailleurs développé beaucoup tes compétences et connaissances également sur ces animaux-là, pourquoi ne pas voir que des reptiles et des amphibiens ?
L.S : Tout simplement parce que j’aime les autres animaux également ! Tu sais j’ai grandi avec Daktari*, je voulais soigner tous les animaux (rires) ! J’aime beaucoup les chiens et les chats, même si la charge de travail est plus conséquente pour rester à jour sur plusieurs classes zoologiques, quelle satisfaction de pouvoir soigner tous ces animaux. Mon métier me permet d’apporter de la joie aux gens que je rencontre à la clinique, de prendre soin d’eux en soignant leurs animaux, cela mérite de donner le meilleur de soi-même, c’est mon leitmotiv.
*Daktari est une série télévisée américaine des années 1960-70, où l’on suit Marsh Tracy, un vétérinaire à Wameru, au Kenya.
C.H : Je sais que tu apprécies de partager ton savoir et de transmettre ton expertise, notamment sur les reptiles et amphibiens. Tu as formé des résidents au sein de ta clinique, peux-tu nous en dire un peu plus sur cette partie de ton travail ? Est-ce que la relève est assurée ?
L.S : Je ne suis pas encore à la retraite (rires), mais assurer une continuité est un point important pour moi, j’ai toujours aimé échanger avec les autres et transmettre le savoir acquis est une priorité logique pour moi. J’apprécie réellement cette partie de mon travail, je suis d’ailleurs consultant spécialisé et enseignant vacataire au Centre Hospitalier Universitaire Vétérinaire d’Alfort depuis 2013 (ENVA) et j’interviens régulièrement sur des congrès, comme l’Icare (International conference on avian herpetological and exotic mammal medicine). Je suis pour l’édition 2022, un des membres du comité scientifique de l’ARAV*.
Concernant mes résidents, il faut comprendre qu’une fois le diplôme de vétérinaire obtenu (DVM), la formation continue avec un internat d’un an, c’est une formation complémentaire clinique généraliste diplômante, puis enchaîne sur un résidanat de 3 ans (formation clinique diplômante) conduisant à la spécialisation. En cas de succès à l’examen d’un Collège Européen reconnu par le CNSV (Conseil National de la Spécialisation Vétérinaire), le lauréat peut se prévaloir d’un titre de « Vétérinaire Spécialiste » comme par exemple en reptiles et amphibiens dans notre cas ! La conservation de ce titre est soumise à une re-certification tous les 5 ans auprès du Collège Européen concerné, l’évolution des compétences et connaissances pour maintenir ce niveau est donc continue.
Les deux résidents avec qui j’ai vécu cette expérience humaine incroyable sont tous deux aujourd’hui en exercice en France et portent ce titre de spécialiste pour les reptiles et amphibiens. Le Dr Frédéric Gandar travaille au sein de la clinique Alvetia dans le 57 (Thionville) et le Dr Clément Paillusseau est resté avec moi à la clinique de Paris, je tiens à leur rendre hommage ici, je suis fier de leur parcours et je les remercie de m’avoir constamment donné l’envie de me mettre à jour !
*Association of Reptilian and Amphibian Veterinarians (ARAV) : leader mondialement reconnu qui a pour mission de promouvoir la médecine et la chirurgie des reptiles et des amphibiens, ainsi que la recherche et la conservation.
C.H : Toutes ces activités autour de ton métier doivent te prendre beaucoup de temps, malgré ça tu es un auteur prolifique de livres, d’articles scientifiques mais également de vulgarisation. L’écriture est une discipline que tu sembles apprécier, est-ce toujours le cas ?
L.S : Oui, c’est vraiment une activité que j’aime, que ce soit en français ou en anglais. J’écris pour différents publics, en France, j’ai depuis longtemps participé à la rédaction d’ouvrage à destination du grand public, comme « Allo, véto ! » paru en 1998, ou les Atlas de la terrariophile (3 volumes) qui sont sortis dans les années 2000. J’aime sincèrement écrire, cela m’oblige à faire beaucoup de recherches, à me documenter, c’est une façon agréable de développer ses connaissances.
C.H : Un de tes grands succès à destination des publics vétérinaires et terrariophiles reste « Les tortues de jardin, guide des soins et maladies » paru en 2007, qui est aujourd’hui encore une référence incontournable sur le sujet. Tu t’attendais à une telle réussite ?
L.S : Je n’avais pas ce genre d’attente, je pense avoir répondu à un besoin. Il n’y avait pas d’équivalent en français et cet ouvrage peut être utilisé tant pour les détenteurs que pour les vétérinaires qui veulent se renseigner sur les bases du maintien en captivité des tortues terrestres méditerranéennes. Il m’a également fait gagner beaucoup du temps ! De nombreuses personnes, professionnelles ou amateurs me sollicitaient, sur des questions récurrentes concernant ces animaux : Qu’est-ce-que le repos hivernal ? Comment gérer l’alimentation ? Etc. j’ai pu et peux encore les orienter sur ce livre pour y répondre.
C.H : Un autre livre dont j’aimerai parler est le « Guide pratique des maladies des reptiles en captivité », paru en 2004. C’est un ouvrage que j’ai toujours connu, il est présent chez tous les professionnels du secteur terrariophile, mais également chez de nombreux amateurs. Destiné d’abord au secteur vétérinaire et écrit pour ce public, il est encore presque 20 ans après une référence connue de tous. Comment expliques-tu ce succès ?
L.S : Je dirai là encore qu’il répondait à un besoin. De plus en plus de reptiles étaient maintenus en captivité et logiquement emmenés à des vétérinaires en cas de problème. C’est d’abord pour mes confrères qu’il a été rédigé, mais comme il reprend les points essentiels d’anatomo-physiologie et dresse une présentation des maladies des reptiles sous forme de dictionnaire pratique (anorexie, prolapsus cloacal, rétention d’œufs, etc.), je pense qu’il a aidé les lecteurs des différents secteurs à comprendre d’où pouvaient venir certaines pathologies fréquentes. Je peux d’ailleurs donner la primeur de l’info à Reptilmag, je suis content d’annoncer la parution de la 2ème édition de cet ouvrage pour cette année, que j’ai co-écrit avec les Drs Gandar et Paillusseau ! Sa vocation première reste l’usage par des professionnels de santé animale, mais il sera disponible pour tous, comme la première édition. Il était temps de faire une mise à jour !
C.H : Tu es également co-auteur sur des ouvrages américains, dont un qui est clairement la référence incontestée en matière de soins vétérinaires pour les reptiles et amphibiens, il s’agit d’un livre appelé communément le « Mader ». Tu peux nous donner quelques détails sur cette « bible » ?
L.S : Douglas R. Mader, M.S.* (Certains vétérinaires choisissent de faire de la recherche scientifique et peuvent obtenir un Master of Science*), DVM, DABVP, diplômé de l’Université de Californie à Davis est une référence incontestée en matière de prise en charge médicale des reptiles et amphibiens. Il est propriétaire de l’hôpital vétérinaire de Marathon en Floride, c’est un conférencier de renommée mondiale et il siège au comité de lecture de plusieurs revues scientifiques et vétérinaires. Il est l’auteur de la première édition du livre dont tu parles, « Reptile Medicine and Surgery » sorti en 1996. Depuis il y a eu des rééditions avec la participation de plusieurs auteurs, je suis très heureux et fier d’avoir pu y contribuer.
C.H : Tu es quelqu’un de passionné dans ton travail mais également dans ta vie et ton amour pour ces animaux t’a conduit vers la terrariophilie, as-tu encore des animaux chez toi ?
L.S : Oui, oui, je ne me lasse pas de cette passion. D’ailleurs je vais en profiter pour rendre hommage à mon ami Karim Daoues, que j’ai connu dans les années 1990. Il a tout du long de ma carrière été présent, sans lui la terrariophile ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. Nous échangeons beaucoup sur notre passion commune et grâce à lui j’ai pu maintenir mon intérêt pour la terrariophilie depuis toutes ces années. Pour revenir à ta question, j’aime beaucoup les Morelia viridis, j’en ai maintenu pendant des années. Je porte un grand intérêt aux caméléons également, je reproduisais avec plaisir et succès plusieurs espèces, à un moment j’avais plus de 100 spécimens à la maison ! Je suis malheureusement devenu allergique aux grillons, ce qui m’a forcé à ne plus maintenir d’animaux insectivores. Les boas canins me plaisent beaucoup, j’apprécie d’en maintenir et depuis quelques années maintenant je m’intéresse beaucoup aux serpents venimeux, notamment les vipères européennes. J’ai d’ailleurs déposé une extension de liste pour mon certificat de capacité afin de pouvoir en maintenir, pour le moment je ne suis capacitaire que sur les reptiles non venimeux (NDA : plusieurs milliers d’espèces donc !).
C.H : Est-ce qu’il y a d’autres personnes qui ont marqué ton parcours ?
L.S : Oui, évidement ! Je pense par exemple, à mes confrères, certains retraités, membres du GENAC* (Groupe d’Etude en Nouveaux Animaux de Compagnie), qui à l’époque m’avaient accueilli les bras ouverts. On peut citer également des éleveurs avec qui j’apprécie particulièrement de discuter, comme Nicolas Hussard. Les belles rencontres sont nombreuses. Je vais également profiter de notre échange pour remercier ma famille, qui m’a toujours soutenu, Véronique ma femme, sans elle rien n’aurait été possible et nos deux enfants. Avec Véronique, nous formons une très bonne équipe depuis toujours, nos enfants sont grands désormais, mais il fallait une organisation sans faille pour que tout fonctionne et que je puisse profiter de ma famille malgré mes activités professionnelles. Pour te donner un exemple, lors de la rédaction du livre « Les tortues de jardin, guide des soins et maladies », nous étions tous ensemble en vacances, et j’écrivais la nuit pour être disponible et profiter la journée. Je mettais mon réveil à 4h du matin et pouvais bosser jusqu’à 8h !
C.H : Est-ce que tu as toujours, aujourd’hui, le même rythme et autant d’activités ?
L.S : Heureusement non (rires) ! Je fais des choix, pour trouver du temps pour mes autres passions, par exemple l’aviation. Je suis en train de passer ma licence de pilote sur monomoteur, j’adore voler, par contre à mon âge l’apprentissage de cette activité complexe est difficile et demande du temps. Je suis donc moins disponible pour d’autres choses. (NDLR : Lionel a, depuis, obtenu son brevet de pilote privé (PPL) sur avions monomoteurs à pistons)
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C.H : Lionel, nous arrivons à la fin de cet interview et je veux encore te remercier de nous avoir accordé un peu de temps. Merci également pour tout ce que tu fais pour nos animaux et ton engagement depuis toujours.
L.S : C’était un plaisir, merci à toi.
L’auteur :
Charlotte HUBLER Charlotte est gérante et responsable pédagogique de Repti Conseils & Formations depuis 2014, avec une expérience de plus de 20 ans dans le secteur animalier spécialisé. Elle est titulaire des certificats de capacité élevage et vente & transit pour plus de 20000 espèces de reptiles/amphibiens/arthropodes.